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Accueil de la bibliothèque > Mémoires de Hector Berlioz MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - A M. Humbert Ferrand. Troisième lettre. Pesth. (1/5) > A M. Humbert Ferrand. Troisième lettre. Pesth. (1/5)

A M. HUMBERT FERRAND

TROISIÈME LETTRE

PESTH

Quand on voyage en Autriche, il faut absolument visiter au moins trois de ses capitales : Vienne, Pesth et Prague. À la vérité certains esprits chagrins prétendent bien que Pesth est en Hongrie et que Prague est en Bohême; mais ces deux États n’en font pas moins parties intégrantes de l’empire d’Autriche auquel ils sont attachés et dévoués corps, âmes et biens, à peu près comme l’Irlande est dévouée à l’Angleterre, la Pologne à la Russie, l’Algérie à la France, comme tous les peuples conquis ont dans tous les temps été attachés à leurs vainqueurs. Ainsi donc partons pour Pesth, grande ville d’Autriche, en Hongrie. Je ne suis pas heureux dans mes relations avec le Danube. Ainsi que je vous l’ai dit, il avait emporté son dernier bateau à vapeur quand je voulus m’embarquer à Ratisbonne pour Vienne; il se couvrit de brouillards pour m’empêcher de descendre son cours jusqu’à Pesth, et vous allez voir que le vieux fleuve ne borna pas là ses mauvais procédés à mon égard. Il semble qu’il ait été tout à fait mécontent de me voir arriver dans ses domaines, et qu’il ait voulu non seulement ne pas m’en faciliter l’accès, mais me l’interdire même tout à fait. Et pourtant combien je l’ai admiré, comme je l’ai loué ce puissant et majestueux fleuve! Il aurait dû être sensible à mon admiration. Mais loin de là, plus je m’extasiais devant ses magnificences, et plus il me devenait hostile; et je pourrais dire de lui ce que La Fontaine disait de son lion :

Ce monseigneur du lion là
Fut parent de Caligula.

Avant de quitter Vienne je manifestai le désir d’être présenté à M. le prince de Metternich; ceux même de mes amis qui se trouvaient les mieux placés pour me procurer cet honneur, se montrant alors vraiment embarrassés de ma demande, je fus sur le point d’y renoncer. Il s’agissait de voir un officier lié avec un conseiller, qui parlerait à un membre de la chancellerie de cour, assez puissant pour m’introduire auprès d’un secrétaire d’ambassade, qui obtiendrait de l’ambassadeur qu’il voulût bien parler à un ministre, afin qu’il me présentât. Je trouvai le circuit infiniment trop prolongé, et l’idée me vint enfin de remplacer à moi tout seul l’officier, le conseiller, le chancelier, le secrétaire, l’ambassadeur et le ministre, en me présentant moi-même. Mes amis, en me voyant déterminé à tenter l’aventure, m’ont très-probablement, in petto, traité de fou, ou tout au moins de Français et demi. Quoi qu’il en soit, bravant l’étiquette autrichienne ou l’opinion que l’on se fait à Vienne de ses rigueurs, je m’acheminai vers le palais du prince. Je monte, je trouve dans le salon un officier de garde, je lui présente ma carte en lui exprimant le désir qui m’amenait. Il entre chez le prince, et revient un instant après m’annoncer que Son Altesse allait être libre dans quelques minutes et qu’elle voulait bien me recevoir. Je fus admis en effet, sans autre préambule. Le prince se montra d’une amabilité parfaite, me fit beaucoup de questions sur la musique et surtout sur ma musique dont il me parut que Son Altesse, qui n’en avait point encore entendu alors, s’était fait une fort drôle d’idée. Je m’efforçai de lui en donner une autre. Bref, je me retirai, enchanté de l’accueil que j’avais reçu, prodigieusement étonné qu’il fût si facile de brutaliser ainsi les lois de l’étiquette allemande, et tout fier d’avoir rempli les fonctions d’officier, de conseiller, de chancelier, de secrétaire d’ambassade, d’ambassadeur et de ministre, sans embarras, pendant quelques instants. Et voilà comment je reconnus encore une fois la vérité de la parole évangélique : « Frappez et il vous sera ouvert », et le tact exquis avec lequel certains princes savent dire aussi parfois : Sinite parvulos venire ad me. À la condition, bien entendu, que les parvuli soient étrangers, quelque peu clercs, et appartiennent à cette classe, curieuse à voir de près, de gens inutiles qu’on nomme aujourd’hui poëtes, musiciens, peintres, artistes enfin, et qu’on désignait au Moyen Âge par les dénominations assez malhonnêtes de ménestrels, trouvères, histrions et bohémiens.

Vous vous étonnerez peut-être, mon cher Humbert, que je n’aie point usé de ma puissante influence pour me faire admettre à présenter mes hommages à la famille impériale, et vous aurez raison. Il y a en effet à ma réserve une raison d’état que je m’en vais vous dire très-confidentiellement. Il m’était revenu, dès les premiers temps de mon séjour à Vienne, que l’Impératrice, cet ange de piété, de douceur et de dévouement, avait de moi une opinion encore plus extraordinaire que celle du prince Metternich sur ma musique. Certains passages un peu trop sauvages de style de mon Voyage en Italie, habilement commentés en outre auprès de S. M. par de bons amis (vous savez qu’on est exposé à en avoir partout, même à la cour d’Autriche), m’avaient valu en si haut lieu la réputation d’un véritable brigand, tout bonnement. Or, je fus non pas flatté, c’est trop peu dire, mais vraiment glorieux de ce renom excentrique qui me tombait du ciel. Je me dis, ce que vous vous fussiez dit à ma place bien certainement, qu’une légère auréole de crimes est chose trop distinguée, depuis que Byron l’a mise à la mode, pour ne pas la conserver précieusement quand on a le bonheur de la posséder; fût-elle même posée sur un front tout à fait indigne. Je raisonnai donc ainsi : Si je me présente à la cour, il est probable que l’Impératrice daignera m’adresser la parole; je devrai lui répondre, de mon mieux nécessairement, et la conversation une fois engagée, Dieu sait où elle peut me conduire. S. M. est capable de perdre en un clin d’œil l’opinion originale qu’elle s’est faite de mon individu; elle ne verra plus en moi qu’un adorateur, comme tant de millions d’autres, de sa grâce et de sa bonté; elle ne trouvera rien de sanglant dans mes yeux, rien de fauve dans mon regard, rien de tigridien dans ma voix; j’aurai bien toujours le nez un peu aquilin, il est vrai, mais, en somme, je ne paraîtrai point du tout avoir le physique de mon emploi, et je passerai pour un simple honnête homme, incapable de faire un malheur et d’arrêter seulement une diligence; me voilà donc perdu de réputation. Ah! diable! non! j’aime mieux rester brigand et partir au plus vite; l’éloignement devant être surtout favorable au développement de mon auréole, qui ne fera que croître et embellir.

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