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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - LIII. Je suis forcé d’écrire des feuilletons. — Mon désespoir. — Velléités de suicide. — Festival de l’Industrie. — 1022 exécutants. — 32,000 francs de recette. — 800 francs de bénéfice. — M. Delessert préfet de police. — Établissement de la censure des programmes de concert. — Les percepteurs du droit des hospices. — Le docteur Amussat. — Je vais à Nice. — Concerts dans le cirque des Champs-Élysées. (1/9) > LIII. Je suis forcé d’écrire des feuilletons. — Mon désespoir. — Velléités de suicide. — Festival de l’Industrie. — 1022 exécutants. — 32,000 francs de recette. — 800 francs de bénéfice. — M. Delessert préfet de police. — Établissement de la censure des programmes de concert. — Les percepteurs du droit des hospices. — Le docteur Amussat. — Je vais à Nice. — Concerts dans le cirque des Champs-Élysées. (1/9) LIII
Je suis forcé d’écrire des feuilletons. — Mon désespoir. —
Velléités de suicide. — Festival de l’Industrie. — 1022 exécutants. — 32,000 francs de recette. — 800 francs de bénéfice. — M.
Delessert préfet de police. — Établissement de la censure des programmes de concert. — Les percepteurs du
droit des hospices. — Le docteur Amussat. — Je vais à Nice. — Concerts dans le cirque des
Champs-Élysées.
Mon existence après cette époque ne présente aucun événement
musical digne d’être cité. Je restai à Paris, occupé presque uniquement
de mon métier, je ne dirai pas de critique, mais de feuilletoniste, ce
qui est bien différent. Le critique (je le suppose honnête et intelligent)
n’écrit que s’il a une idée, s’il veut éclairer une question, combattre un
système, s’il veut louer ou blâmer. Alors, il a des motifs qu’il croit réels
pour exprimer son opinion, pour distribuer le blâme ou l’éloge. Le malheureux
feuilletoniste obligé d’écrire sur tout ce qui est du domaine de son feuilleton
(triste domaine, marécage rempli de sauterelles et de crapauds!) ne veut rien
que l’accomplissement de la tâche qui lui est imposée; il n’a bien souvent
aucune opinion au sujet des choses sur lesquelles il est forcé d’écrire;
ces choses-là n’excitent ni sa colère, ni son admiration, elles ne
sont pas. Et pourtant, il faut qu’il ait l’air de croire à leur
existence, l’air d’avoir une raison pour leur accorder son attention, l’air de
prendre parti pour ou contre. La plupart de mes confrères savent sans peine,
souvent même avec une facilité charmante, se tirer de ce mauvais pas. Pour moi,
quand je parviens à en sortir, c’est avec des efforts aussi longs que
douloureux. Je suis demeuré une fois trois jours entiers enfermé dans ma
chambre, pour écrire un feuilleton sur l’Opéra-Comique sans pouvoir le
commencer. Je ne me souviens pas de l’œuvre dont j’avais à parler (une
semaine après sa première représentation, j’en avais oublié le nom pour jamais),
mais les tortures que j’éprouvai pendant ces trois jours avant de trouver les
trois premières lignes de mon article, certes! je me les rappelle. Les lobes de
mon cerveau semblaient être prêts à se disjoindre. J’avais comme des cendres
brûlantes dans les veines. Tantôt je restais accoudé sur ma table, tenant ma
tête à deux mains; tantôt je marchais à grands pas comme un soldat en sentinelle
par un froid de vingt-cinq degrés. Je me mettais à la fenêtre, regardant les
jardins environnants, les hauteurs de Montmartre, le soleil couchant... aussitôt
la rêverie m’emportait à mille lieues de mon maudit opéra-comique. Et quand en
me retournant, mes yeux retombaient sur son maudit titre, écrit en tête de la
maudite feuille de papier, blanche encore et attendant obstinément les autres
mots dont je devais la couvrir, je me sentais envahir par le désespoir. J’avais
une guitare appuyée contre ma table, d’un coup de pied je lui crevai le
ventre... Sur ma cheminée, deux pistolets me regardaient avec leurs yeux
ronds... je les considérai très-longtemps... puis j’en vins à me bosseler le
crâne à grands coups de poing. Enfin, comme un écolier qui ne peut pas faire son
thème, je pleurai avec une indignation furieuse en m’arrachant les cheveux.
Cette eau salée sortie de mes yeux sembla me soulager un peu. Je tournai contre
le mur le canon de mes pistolets qui me regardaient toujours. J’eus pitié de mon
innocente guitare, et la reprenant, je me demandai quelques accords qu’elle me
donna sans rancune. Mon fils, âgé de six ans, vint en ce moment frapper à ma
porte; par suite de ma mauvaise humeur je l’avais injustement grondé le matin.
Comme je n’ouvrais pas :
« — Père, me cria-t-il, veux-tu être-z-amis ?
Et courant lui ouvrir :
— Oui, mon garçon, soyons-z-amis! viens!
Je le pris sur mes genoux, j’appuyai sa blonde tête sur ma
poitrine et nous nous endormîmes tous les deux. Je venais de renoncer à trouver
le début de mon article : c’était le soir du troisième jour. Le lendemain je
parvins enfin, je ne sais comment, à écrire je ne sais quoi, sur je ne sais qui.
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