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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - A M. G. Osborne, dixième lettre, Hanovre, Darmastadt (6/6) > A M. G. Osborne, dixième lettre, Hanovre, Darmastadt (6/6) Le maître de chapelle Mangold, habile et excellent
homme, a fait en grande partie son éducation musicale à Paris, où il a compté
parmi les meilleurs élèves de Reicha. C’était donc pour moi un condisciple, et
il m’a traité comme tel. Quant à Schlosser, le concert-meister déjà
nommé, il s’est montré si bon camarade, il a mis tant d’ardeur à me seconder,
que je suis vraiment dans l’impossibilité de parler comme il conviendrait de
celles de ses compositions dont il m’a permis la lecture; j’aurais l’air de
reconnaître son hospitalité, quand je ne ferais que lui rendre justice. Nouvelle
preuve de la vérité de l’anti-proverbe : Un bienfait est toujours perdu!
Il y a à Darmstadt une bande militaire d’une trentaine
de musiciens, je l’ai bien enviée au grand-duc. Tout cela joue juste, a du
style, et possède un sentiment du rhythme qui donne de l’intérêt même aux
parties de tambours.
Reichel (l’immense voix de basse qui me fut si utile à Hambourg) se
trouvait, à mon arrivée, depuis quelque temps à Darmstadt, où, dans le rôle de
Marcel des Huguenots, il avait obtenu un véritable triomphe. Il eut
encore l’obligeance de chanter le Cinq Mai, mais avec un talent et une
sensibilité de beaucoup au-dessus des qualités qu’il avait montrées en exécutant
ce morceau la première fois. Il fut admirable surtout à la dernière strophe, la
plus difficile à bien nuancer :
Wie ? Sterben er ? o Ruhm, wie verwaist bist du!
Quoi! lui mourir! ô gloire, quel veuvage!
Ensuite l’air du Figaro de Mozart « Non più
andrai, » que nous avions ajouté au programme, montra la souplesse de son
talent, en le faisant briller sous une face nouvelle, lui valut un bis de
toute la salle, et le lendemain un engagement très-avantageux au théâtre de
Darmstadt. Je me dispense de vous narrer... le reste. Si vous allez dans ce
pays-là on vous dira seulement que j’ai eu la vanité naïve de trouver le public
et les artistes très-intelligents.
Nous voici maintenant, mon cher Osborne, au terme de ce
pèlerinage, le plus difficile peut-être qu’un musicien ait jamais entrepris, et
dont le souvenir, je le sens, doit planer sur le reste de ma vie. Je viens,
comme les hommes religieux de l’ancienne Grèce, de consulter l’oracle de
Delphes. Ai-je bien compris le sens de sa réponse ? Faut-il croire ce qu’elle
paraît contenir de favorable à mes vœux ?... N’y a-t-il pas d’oracles
trompeurs ?... L’avenir, l’avenir seul en décidera. Quoi qu’il en soit, je dois
rentrer en France et adresser enfin mes adieux à l’Allemagne, cette noble
seconde mère de tous les fils de l’harmonie. Mais où trouver des expressions
égales à ma gratitude, à mon admiration, à mes regrets ?... Quel hymne
pourrais-je chanter qui fût digne de sa grandeur et de sa gloire ?... Je ne sais
donc, en la quittant, que m’incliner avec respect, et lui dire d’une voix émue :
Vale, Germania, alma parens!
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