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Accueil de la bibliothèque > Mémoires de Hector Berlioz MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - A M<sup>lle </sup>Louise Bertin, septième lettre, Berlin. (1/4) > A Mlle Louise Bertin, septième lettre, Berlin. (1/4)

A MLLE LOUISE BERTIN

SEPTIÈME LETTRE

Berlin.

Je dois tout d'abord implorer votre indulgence, mademoiselle, pour la lettre que je prends la liberté de vous écrire; j'ai trop lieu de craindre de la disposition d'esprit où je suis. Un accès de philosophie noire m'a saisi depuis quelques jours, et Dieu sait à quelles idées sombres, à quels jugements saugrenus, à quels étranges récits il va infailliblement me porter... s'il continue. Vous ne savez peut-être pas encore bien exactement ce que c'est que la philosophie noire?... C'est le contraire de la magie blanche, ni plus ni moins.

Par la magie blanche, on arrive à deviner que Victor Hugo est un grand poète; que Beethoven était un grand musicien; que vous êtes à la fois musicienne et poète; que Janin est un homme d'esprit; que si un bel opéra bien exécuté tombe, le public n'y a rien compris; que s'il réussit, le public n'y a pas compris davantage, que le beau est rare; que le rare n'est pas toujours beau; que la raison du plus fort est la meilleure; qu'Abd-el-Kader a tort, O' Connell aussi; que décidément les Arabes ne sont pas des Français; que l'agitation pacifique est une bêtise: et autres propositions aussi embrouillées.

Par la philosophie noire on en vient à douter, à s'étonner de tout; à voir à l'envers les images gracieuses et dans leur vrai sens les objets hideux; on murmure sans cesse, on blasphème la vie, on maudit la mort; on s'indigne comme Hamlet que la cendre de César puisse servir à calfeutrer un mur; on s'indignerait bien davantage si la cendre des misérables était seule propre à cet ignoble emploi; on plaint le pauvre Yorick de ne pouvoir même rire de la sotte grimace qu'il fait après quinze ans passés sous terre, et l'on rejette sa tête avec horreur et dégoût ; ou bien on l'emporte, on la scie, on en fait une coupe et le pauvre Yorick, qui ne peut plus boire, sert à étancher la soif des amateurs de vin du Rhin, qui se moquent de lui.

Ainsi, dans votre solitude des Roches, où vous vous abandonnez paisiblement au cours de vos pensées, je n'éprouverais, moi, à cette heure de philosophie noire1, qu'un mécontentement et un ennui mortels. Si vous me faisiez admirer un beau coucher du soleil, je serais capable de lui préférer l'éclairage au gaz de l'avenue des Champs-Elysées; si vous me montriez sur le lac vos cygnes et leurs formes élégantes, je vous dirais : Le cygne est un sot animal, il ne songe qu'à barboter et à manger, il n'a de chant qu'un râle stupide et affreux : si, vous mettant au piano, vous vouliez me faire entendre quelques pages de vos auteurs favoris, Mozart et Cimarosa2, je vous interromprais peut-être avec humeur, trouvant qu'il est bientôt temps d'en finir avec cette admiration pour Mozart, dont les opéras se ressemblent tous, et dont le beau sang-froid fatigue et impatiente!... Quant à Cimarosa, j'enverrais au diable son éternel et unique Mariage secret, presque aussi ennuyeux que le Mariage de Figaro, sans être à beaucoup près aussi musical ; je vous prouverais que le comique de cet ouvrage réside seulement dans les pasquinades des acteurs; que l'invention mélodique en est assez bornée ; que la cadence parfaite, revenant à chaque instant, forme à elle seule près des deux tiers de la partition; enfin, que c'est un opéra bon pour le carnaval et les jours de foire. Si, choisissant un exemple du style opposé, vous aviez recours à quelque œuvre de Sébastien Bach, je serais capable de prendre la fuite devant ses fugues et de vous laisser seule avec sa Passion.

Voyez les conséquences de cette terrible maladie!... On n'a plus, quand elle vous possède, ni politesse, ni savoir-vivre, ni prudence, ni politique, ni rouerie, ni bon sens; on dit toutes sortes d'énormités, et qui pis est, on pense ce qu'on dit, on se compromet, on perd la tête.

Foin de la philosophie noire 1 l'accès est passé; je suis assez sage maintenant pour vous parler raisonnablement; et voici, mademoiselle, ce que j'ai vu et entendu à Berlin; je dirai plus tard ce que j'y ai fait entendre.

1. Hier, mademoiselle, en proie à un accès de cette philosophie, je me trouvais dans une maison où l'on a la manie des autographes. La reine du salon ne manqua pas de me prier d'écrire quelque chose sur son album. « Mais je vous en prie, ajouta-t-elle, pas de banalités. » Cette recommandation m'irrita, et j'écrivis aussitôt:

« La peine de mort est une très-mauvaise chose, car, si elle n'existait pas, j'aurais probablement déjà tué beaucoup de gens, et nous n'aurions pas à l'heure qu'il est tant de ces gredins de crétins, fléaux de l'art et des artistes. »

On rit beaucoup de mon aphorisme, croyant que je n'en pensais pas un mot.

2. Mademoiselle Bertin m'a assuré dernièrement que je la calomniais en comptant Cimarosa parmi ses compositeurs favoris. Je dois donc reconnaître mon erreur, en regrettant de l'avoir commise. En tout cas, ce n'est pas, je le suppose, une calomnie bien grave et l'on peut s'en consoler.

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