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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - A Henri Heine, sixième lettre, Brunswick, Hambourg. (6/6) > A Henri Heine, sixième lettre, Brunswick, Hambourg. (6/6) C'est maintenant le tour de votre ville natale, de Hambourg, de cette cité
désolée comme l'antique Pompéia, mais qui renaît puissante de ses cendres et
panse ses blessures courageusement!... Certes, je n'ai qu'à m'en louer aussi.
Hambourg a de grandes ressources musicales; sociétés de chant, sociétés
philharmoniques, bandes militaires, etc. L'orchestre du théâtre a été réduit,
par économie, à des proportions ultra-mesquines, il est vrai; mais j'avais fait
d'avance mes conditions avec le directeur, et on me présenta un orchestre tout à
fait beau sous les rapports du nombre et du talent des artistes, grâce à un
riche supplément d'instruments à cordes et au congé que j'obtins pour deux ou
trois invalides presque centenaires, à qui le théâtre est attaché. Chose
étrange, que je signale tout de suite, il y a à Hambourg un excellent harpiste,
armé d'un très-bon instrument ! je commençais à désespérer de revoir ni l'un ni
l'autre en Allemagne. J'y ai trouvé aussi un vigoureux ophicléide, mais il a
fallu se passer du cor anglais.
La première flûte (Cantal) et le premier violon (Lindenau), sont deux
virtuoses de première force. Le maître de chapelle (Krebs) remplit ses fonctions
avec talent et avec une sévérité que j'aime à trouver chez les chefs
d'orchestre. Il m'a très-amicalement assisté pendant nos longues répétitions. La
troupe chantante du théâtre était, à l'époque de mon passage, assez bien
composée ; elle possédait trois artistes de mérite; un ténor doué, sinon d'une
voix exceptionnelle, au moins de goût et de méthode; un soprano agile,
mademoiselle.... mademoiselle... Ma foi, j'ai oublié son nom (cette jeune
divinité m'aurait fait l'honneur de chanter à mon concert si j'eusse été plus
connu. — Hosanna in excelsis!) et enfin Reichel, la formidable basse qui, avec
un volume de voix énorme et
un timbre magnifique, possède une étendue de deux octaves et demie! Reichel
est de plus un homme superbe, il représente à merveille les personnages tels
que Zarastro, Moïse et Bertram. Madame Cornet, femme du directeur musicienne
achevée et dont le soprano, d'une grande étendue, a dû avoir un éclat peu
commun, n'était point engagée ; elle figurait dans quelques représentations seulement où sa présence était nécessaire. Je l'ai applaudie dans la Reine de la
nuit de la Flûte enchantée, rôle difficile, écrit dans le registre suraigu que
très-peu de cantatrices possèdent.
Le chœur, assez faible et peu nombreux, se tira bien, cependant, des morceaux
que je lui avais confiés.
La salle de l'Opéra de Hambourg est très-vaste; j'en redoutais les dimensions,
l'ayant trouvée vide trois fois aux représentations de la Flûte enchantée, de
Moïse et de Linda di Chamouni. Aussi éprouvai-jeune agréable surprise en la
voyant pleine le jour où je me présentai devant le public hambourgeois.
Une exécution excellente, un auditoire nombreux, intelligent et très-chaud
firent de ce concert un des meilleurs que j'aie donnés en Allemagne. Harold et
la cantate du Cinq mai, chantée avec un profond sentiment par Reichel, en eurent
les honneurs. Après ce morceau, deux musiciens voisins de mon pupitre
m'adressèrent à voix basse, en français, ces simples paroles qui me touchèrent
beaucoup :
« Ah! monsieur! notre respect! notre respect!... » Ils n'en savaient pas dite
davantage. En somme l'orchestre de Hambourg est resté fort de mes amis, ce dont
je ne suis pas médiocrement fier, je vous jure. Krebs seul a mis dans son
suffrage une singulière réticence: « Mon cher, me disait-il, dans quelques
années votre musique fera le tour de l'Allemagne; elle y deviendra populaire, et
ce sera un grand malheur! Quelles imitations elle amènera! quel style! quelles folies! il vaudrait mieux pour l'art que vous ne
fussiez jamais né! »
Espérons pourtant que ces pauvres symphonies ne sont pas aussi contagieuses
qu'il veut bien le dire, et qu'il n'en sortira jamais ni fièvre jaune ni
choléra-morbus.
Maintenant, Heine, Henri Heine, célèbre banquier d'idées, neveu de M. Salomon
Heine, l'auteur de tant de précieux poèmes en lingots, je n'ai plus rien à vous
dire, et je vous... salue.
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