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Accueil de la bibliothèque > Mémoires de Hector Berlioz MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - A liszt, troisième lettre, Manheim, Weimar. (3/3) > A liszt, troisième lettre, Manheim, Weimar. (3/3)

J'ai trouvé à Manheim une assez bonne harpe, un hautbois excellent qui joue médiocrement du cor anglais, un violoncelle habile (Heinefetter), cousin des cantatrices de ce nom, et de valeureuses trompettes. Il n'y a pas d'ophicléide ; Lachner, pour remplacer cet instrument employé dans toutes les grandes partitions modernes, s'est vu obligé de faire faire un trombone à cylindres, descendant à l'ut et au si graves. Il était plus simple, ce me semble, de faire venir un ophicléide, et, musicalement parlant, c'eût été beaucoup mieux, car ces deux instruments ne se ressemblent guère. Je n'ai pu entendre qu'une répétition de l'Académie de chant; les amateurs qui la composent ont généralement d'assez belles voix, mais ils sont loin d'être tous musiciens et lecteurs.

Mademoiselle Sabine Heinefetter a donné, pendant mon séjour à Manheim, une représentation de Norma. Je ne l'avais pas entendue depuis qu'elle a quitté le Théâtre-Italien de Paris; sa voix a toujours de la puissance et une certaine agilité : elle la force un peu parfois, et ses notes hautes deviennent bien souvent difficiles à supporter; telle qu'elle est, pourtant, mademoiselle Heinefetter a peu de rivales parmi les cantatrices allemandes ; elle sait chanter.

Je me suis beaucoup ennuyé à Manheim, malgré les soins et les attentions d'un Français, M. Désiré Lemire, que j'avais rencontré quelquefois à Paris, il y a huit ou dix ans. C'est qu'il est aisé de voir aux allures des habitants, à l'aspect même de la ville, qu'on est là tout à fait étranger au mouvement de l'art, et que la musique y est considérée seulement comme un assez agréable délassement dont on use volontiers aux heures de loisir laissées par les affaires. En outre, il pleuvait continuellement; j'étais voisin d'une horloge dont la cloche avait pour résonnance harmonique la tierce mineure1, et d'une tour habitée par un méchant épervier, dont les cris aigus et discordants me vrillaient l'oreille du matin au soir. J'étais impatient aussi de voir la ville des poètes où me pressaient d'arriver les lettres du maître de chapelle, mon compatriote Chélard, et celles de Lobe, ce type du véritable musicien allemand dont tu as pu, je le sais, apprécier le mérite et la chaleur d'âme.

Me voilà de nouveau sur le Rhin! — Je rencontre Guhr. — Il recommence à jurer. — Je le quitte. — Je revois un instant, à Francfort, notre ami Hiller. — il m'annonce qu'il va faire exécuter son oratorio de la Chute de Jérusalem... — Je pars, nanti d'un très-beau mal de gorge. — Je m'endors en route. — Un rêve affreux... que tu ne sauras pas. — Voilà Weimar. Je suis très-malade. — Lobe et Chélard essayent inutilement de me remonter. — Le concert se prépare. — On annonce la première répétition.— La joie me revient.— Je suis guéri.

A la bonne heure, je respire ici ! Je sens quelque chose dans l'air qui m'annonce une ville littéraire, une ville artiste! Son aspect répond parfaitement à l'idée que je m'en étais faite, elle est calme, lumineuse, aérée, pleine de paix et de rêverie: des alentours charmants, de belles eaux, des collines ombreuses, de riantes vallées. Comme le cœur me bat en la parcourant! Quoi! c'est là le pavillon Ce Gœthe! Voilà celui où feu le Grand-Duc aimait à venir prendre part aux doctes entretiens de Schiller, de Herder, de Wieland! Cette inscription latine fut tracée sur ce rocher par l'auteur de Faust! Est-il possible? ces deux petites fenêtres donnent de l'air à la pauvre mansarde qu'habita Schiller! C'est dans cet humble réduit que le grand poète de tous les nobles enthousiasmes écrivit Don Carlos, Marie Stuart, les Brigands, Wallestein ! C'est là qu'il a vécu comme un simple étudiant! Ah! je n'aime pas Gœthe d'avoir souffert cela! Lui qui était riche, ministre d'État... ne pouvait-il changer le sort de son ami le poète?... ou cette illustre amitié n'eut-elle rien de réel!... Je crains qu'elle ait été vraie du côté de Schiller seulement ! Gœthe s'aimait trop: il chérissait trop aussi son damné fils Méphisto; il a vécu trop vieux: il avait trop peur de la mort.

Schiller! Schiller! tu méritais un ami moins humain! Mes yeux ne peuvent quitter ces étroites fenêtres, cette obscure maison, ce toit misérable et noir; il est une heure du matin, la lune brille, le froid est intense. Tout se tait; ils sont tous morts... Peu .à peu ma poitrine se gonfle; je tremble; écrasé de respect, de regrets et de ces affections infinies que le génie à travers la tombe inflige quelquefois à d'obscurs survivants, je m'agenouille auprès de l'humble seuil, et, souffrant, admirant, aimant, adorant, je répète: Schiller!... Schiller!... Schiller!...

Que te dire maintenant, cher, du véritable sujet de ma lettre? j'en suis si loin. Attends, je vais, pour rentrer dans la prose et me calmer un peu, penser à un autre habitant de Weimar, à un homme d'un grand talent, qui faisait des messes, de beaux septuors, et jouait sévèrement du piano, à Hummel... C'est fait, me voilà raisonnable!

Chélard, en sa qualité d'artiste d'abord, de Français et d'ancien ami ensuite, a tout fait pour m'aider à parvenir à mon but. L'intendant, M. le baron de Spiegel, entrant dans ses vues bienveillantes, a mis à ma disposition le théâtre et l'orchestre ; je ne dis pas les chœurs, car il n'aurait probablement pas osé m'en parler. Je les avais entendus en arrivant, dans le Vampire de Marschner; on ne se ligure pas une telle collection de malheureux, braillant hors du ton et de la mesure. Je ne connaissais rien de pareil. Et les cantatrices! oh! les pauvres femmes! Par galanterie, n'en parlons pas. Mais il y a là une basse qui remplissait le rôle du Vampire; tu devines que je veux parler de Génast! N'est-ce pas que c'est un artiste dans toute la force du terme?... Il est surtout tragédien; et j'ai bien regretté de ne pouvoir rester plus longtemps à Weimar, pour lui voir jouer le rôle de Lear, dans la tragédie de Shakespeare, qu'on montait au moment de mon départ.

La chapelle est bien composée; mais pour me faire fête, Chélard et Lobe se mirent en quête d'instruments à cordes qu'on pouvait ajouter à ceux qu'elle possède, et ils me présentèrent un actif de vingt-deux violons, sept altos, sept violoncelles et sept contrebasses. Les instruments à vent étaient au grand complet; j'ai remarqué parmi eux une excellente première clarinette et une trompette à cylindres (Sachce) dune force extraordinaire. Il n'y avait pas de cor anglais : — j'ai dû transposer sa partie pour une clarinette; pas de harpe: — un très-aimable jeune homme, M. Montag, pianiste de mérite et musicien parfait, a bien voulu arranger les deux parties de harpe pour un seul piano et lesjouer lui-même; pas d'ophicléide: — on l'a remplacé par un bombardon assez fort. Plus rien alors ne manquait et nous avons commencé les répétitions. Il faut te dire que j'avais trouvé à Weimar, chez les musiciens, une passion très-développée pour mon ouverture des Francs-juges qu'ils avaient déjà exécutée quelquefois. Ils étaient donc on ne peut mieux disposés ; aussi aï-je été réellement heureux, contre l'ordinaire, pendant les études de la Symphonie fantastique, que j'avais encore choisie, d'après leur désir. C'est une joie extrême, mais bien rare, d'être ainsi compris tout de suite. Je me souviens de l'impression que produisirent sur la chapelle et quelques amateurs assistant à la répétition, le premier morceau (Rêveries-Passions) et le troisième (Scène aux champs). Celui-ci surtout semblait, à sa péroraison, avoir oppressé toutes les poitrines, et après le dernier roulement de tonnerre, à la fin du solo du pâtre abandonné, quand l'orchestre rentrant semble exhaler un profond soupir et s'éteindre, j'entendis mes voisins soupirer aussi sympathiquement, en se récriant, etc., etc. Chélard, lui, se déclara partisan de la Marche au supplice avant tout. Quant au public, il parut préférer le Bal et la Scène aux champs. L'ouverture des Francs-Juges fut accueillie comme une ancienne connaissance qu'on est bien aise de revoir. Bon, me voilà encore sur le point de manquer de modestie; et, si je te parle de la salle pleine, des longs applaudissements, des rappels, des chambellans qui viennent complimenter le compositeur de la part de Leurs Altesses, des nouveaux amis qui l'attendent à la sortie du théâtre pour l'embrasser et qui le gardent bon gré mal gré jusqu' à trois heures du matin; si je te décris enfin un succès, on me trouvera fort inconvenant, fort ridicule, fort... Tiens, malgré ma philosophie, cela m'épouvante, et je m'arrête là. Adieu.

1. J'ai pu faire en Allemagne, beaucoup d'observations sur les diverses résonnances des cloches ; et j'ai vu, à n'en pouvoir douter, que la nature se riait encore, à cet égard, des théories de nos écoles. Certains professeurs ont soutenu que les cors sonores ne faisaient tous résonner que la tierce majeure; un mathématicien est venu dans ces derniers temps, affirmant que les cloches faisaient toutes entendre, au contraire, la tierce mineure ; et il se trouva en réalité qu'elles donnent harmoniquement toutes sortes d'intervalles. Les unes font retentir la tierce mineure, les autres la quarte ; une des cloches de Weimar sonne la septième mineure et l'octave successivement (son fondamental fa, résonnance fa octave, mi bémol septième); d'autres même produisent la quarte augmentée. Évidemment la résonnance harmonique des cloches dépend de la forme que le fondeur leur a donnée, des divers degrés d'épaisseur du métal à certains points de leur courbure, et des accidents secrets de la foute et du coulage.

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